samedi 9 août 2014

JULIA, reine du foyer




Ma mère était forte et courageuse en toutes circonstances. Fière et humble à la fois. 
Malgré la lourde tâche et les inquiétudes qui ne manquaient pas, avec des oisillons plein le nid, elle gardait un visage aimable, riait de bon cœur dans les moments de détente. 

Maman accomplissait des prodiges avec peu, mettant son orgueil à ce que nous soyons vêtus convenablement. Nous ne révélions jamais que le vêtement que nous portions avait été fait dans du «vieux» et souvent porté par les plus grands.. Ma mère se débrouillait et trouvait cela normal. Ne se plaignait jamais. C’était une héroïne.

Elle accoucha de seize enfants et personne ne mourut à la naissance ou en bas âge. 
Entre le lavage des couches et les chaudronnées de soupe, elle trouvait le moyen de faire des courtepointes.

 Elle aimait cuisiner. 
 Je me rappelle entre autres qu'elle faisait, à la main,  d’excellentes nouilles larges et dodues pour le macaroni.




Papa s’en remettait presque entièrement à maman pour 
notre éducation et tout ce qui concernait le foyer.  

Mais  à table il ne fallait pas rire ni parler trop fort. 
Lui-même restait silencieux. 

J’ai compris beaucoup plus tard seulement que mon père était prisonnier à l’intérieur de lui-même, incapable d’exprimer ses sentiments,
et qu’il en souffrait peut-être plus 
que nous. 
 Je n’ai jamais vu mon père échanger des marques de tendresses devant nous. 
La plus grande pudeur régnait à tous les niveaux: dans l’expression verbale des sentiments, comme dans les gestes. 

Quant à la relation entre frères 
et sœurs, s’en était une de réserve, mais une belle solidarité en cas de malheur.

 En fait, nous nous aimions bien, d’une affection qui ne s’exprimait pas en mots mais qui était véritable.

Aujourd’hui 
je puis dire que nous apprécions  la valeur du lien fraternel.







C'est dans la cuisine que tout se passait.
Lieu de chaleur et de rencontres, source inépuisable de souvenirs où ce qui réjouit les palais enchante aussi les cœurs et parfois les libère. 


La cuisine était la pierre angulaire de ce qu’on appelle avec tendresse et nostalgie la maison. Souvent, autour de la table, même aujourd’hui, nous apprenons à nous faire proches les uns des autres, car en plus de partager la nourriture, nous partageons les joies, les succès, les déceptions, les projets. 

Ainsi, les repas deviennent des moments qui nous permettent de nous connaître, de nous accueillir, de mieux nous comprendre et de nous apprécier. Nous avons goûté à la douceur de la relation fraternelle et nous avons vu nos liens se solidifier en mangeant et discutant autour de la table. Ces rencontres ont été comme du bon pain, et pour notre corps, et pour notre cœur.


Je me souviens qu’un dimanche, nous n’attendions personne et dès 10 h 30, 11 h, il y avait déjà trois voitures dans l’entrée. Elle a fait un peu comme Jésus lors de la multiplication des pains. Il en restait toujours. C’est dommage que nous ne buvions pas de vin à la maison, car comme elle était très croyante, elle aurait pu faire la même chose que Jésus aux noces de Cana!

Le matin de Pâques, les gars se levaient avant l’aurore pour cueillir comme la tradition l’exigeait de l’eau de Pâques.
Durant toute l’année, le contenant d’eau était placé non loin des rameaux bénis le dimanche précédent et chacun pouvait profiter des vertus curatives de cette eau aux pouvoirs miraculeux. Lorsque nous nous blessions, maman mettait de l’eau bénite sur la plaie et notre petit cœur se remplissait de félicité.

Nous avions une longue corde à linge. C’était important pour elle. Elle aimait l’odeur de la lessive séchée au vent et au soleil, et même l’hiver, elle étendait courageusement à l’extérieur. En soufflant sur ses doigts pour les réchauffer, elle peinait à décrocher les combinaisons des hommes qui ressemblaient à des mannequins de bois givrés. Évidemment, il fallait faire sécher à nouveau tout cela dans la maison. Pour nous, ce qui se dégageait alors c’était l’odeur des lundis d’hiver. Après avoir accompli ses tâches ménagères habituelles, elle travaillait à coudre ou à confectionner des courtepointes avec des vieux tissus soigneusement lavés et découpés.

Chaque année, elle faisait un potager. À la Fête de St-Joseph le 19 mars( jour de l'anniversaire de Roméo) elle sema les graines de tomates dans des pots et dès le début de mai, elle commença à y travailler. Elle sema un grand carré de pommes de terre, des rangs de haricots, de concombres et de carottes. 
Cueillir l’une de ces tomates toutes chaudes de soleil, humer son odeur à la fois douce et piquante et mordre dans sa chair tendre comme dans une pomme, en la saupoudrant de sel était un délice, un festin.

À l’automne maman s’activait fébrilement à la préparation des provisions hivernales. On vidait systématiquement le jardin et le verger, on ramassait les pommes de terre et les descendait dans le caveau. Je me souviens d’un hiver difficile, elle me demanda d’aller porter 2 pots de tomates au voisin car il n’avait pas grand-chose à offrir à ses enfants.

Quand elle faisait le pain, l’odeur se percevait de loin et nous chatouillait les narines. Mium… Le bonheur en ce temps-là ne coûtait presque rien. La joie soulevait notre cœur, cette joie qui est d’abord la tranquillité de l’âme, la paix intérieure, la confiance en la vie qui nous habite.

Quand j’étais gamine, nous allions cueillir des fraises sauvages dans le champ. Elles étaient si petites que ça prenait un certain temps pour remplir notre panier. Maman en faisait de belles confitures pour l’hiver. Quand sa tâche lui en laissait le loisir, elle aimait bien jouer aux cartes.

Avec les nombreux rejetons de mes parents et ceux, non moins nombreux, des frères de papa, on pouvait dire que les Bourdeau faisaient leur large part pour peupler la région. Ah! nos valeureux ancêtres. 

Les 16 enfants de Julia et Médard en 1944



La vie se déroulait tranquillement à Embrun dans les années 1940. Régie par les traditions et les conventions propres à l’époque, pas de bicyclettte, ni de pantalon pour les filles, pas plus de danse dans la maison, la population se groupait sans trop de questionnement autour de son clocher. C’est en ces années que tante Sœur Gabrièle Maria, Soeur de la Sagesse à Red Deer en Alberta et sœur de maman, après 25 ans sans avoir vu sa famille, vint chez-nous pour la réception de famille. Ce fut un grand événement.




Chaque fin du mois d'août, , nous prenions le catalogue Dupuis Frères et nous écrivions nos besoins sur la liste des fournitures pour l’école. Nous y ajoutions une bague, un bracelet, etc. Et nous attendions pleines d’espoir. Ce doux, ce merveilleux état d’espérance qui enivre quand on a la vie devant soi.
 Hélas, à mesure que les jours passaient, il devenait évident que Jésus n’était pas d’accord avec nos demandes et nous en fîmes tristement notre deuil. 

Au cours des décennies, ma candeur et ma confiance se sont évidemment pas mal émoussées. J’ai appris à me méfier, à me défendre et à former mon propre jugement. Mais au fond, je pense que je suis restée la même, et qu’il subsiste en moi une zone d’enfance où vont se réfugier un profond désir de croire en la bonne foi des gens, un petit reste de pensée magique et l’amour du merveilleux.

Comme héritage, maman nous a légué le pardon, l’amitié, la tendresse, l’amour et la débrouillardise. Comme preuve, nous avons toujours eu du travail et une maison pour nos enfants.

Rien n’égale sur terre l’amour d’une mère, c’est un feu qui ne s’éteint pas. Elle était la première debout le matin à s’occuper de nourrir la famille, à deviner nos peines et à savoir les apaiser. 

Même si elle nous a quitté en 1976, maman a éclairé notre route et 
encore aujourd’hui qui de nous 
ne lui demande pas de nous venir 
en aide dans les moments difficiles. C’est pourquoi nous te disons maman, chère maman d’amour,
 merci de nous avoir permis d’être une famille et protège-nous jusqu’à ce que nous soyons de nouveau 
tous réunis.


Béatrice
3/7/2014


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